
Guide de rédaction épicène
par Marie-Christine Lemieux-Couture
Quoiqu’on puisse croire, le langage n’est pas neutre. Le choix de certaines règles, imposées par des institutions majoritairement investies par des hommes, implique des dynamiques de pouvoir. L’exemple le plus marquant en français est sans doute la règle voulant qu’au pluriel, le masculin l’emporte, n’y aurait-il qu’un seul homme dans le groupe! Dans une optique d’inclusivité, ces choix peuvent faire l’objet d’une remise en question de façon à favoriser une rédaction plus équitable.
Qu’est-ce que le langage épicène ?
Langage épicène ou dégenré, rédaction inclusive ou non sexiste, écriture neutre ou neutralisation lexicale, les appellations sont nombreuses, mais l’approche reste la même, soit embrasser un ensemble de pratiques d’écriture (choix de mot, syntaxe, grammaire, typographie) qui vise à en finir avec les discriminations basées principalement sur le genre dans les langages genrés.
Cet ensemble de pratiques se fonde sur trois principes essentiels : éviter d’invisibiliser les femmes, favoriser une vision plurielle des genres plutôt que la binarité féminin/masculin et utiliser un lexique qui ne reconduit pas des stéréotypes marginalisants.
Certaines nomenclatures de rédaction vont féminiser l’écriture sans tâcher de la neutraliser ou de favoriser un lexique non marginalisant. Il s’agit alors de féminisation du langage et non de rédaction épicène. On ne peut se targuer de faire dans la rédaction inclusive sans respecter les trois principes essentiels à cette inclusion qui se résument par visibiliser, pluraliser et respecter.
Visibiliser
La féminisation évite donc d’utiliser systématiquement le masculin générique, comme s’il pouvait désigner l’ensemble des genres.
Saviez-vous que jusqu’au Moyen Âge, les titres de profession existaient tant dans leur forme masculine que dans leur forme féminine ? Il n’y a donc aucune raison de craindre des termes comme autrice, cheffe ou compositrice, malgré la longue réticence de l’Académie française. Réticence qui s’explique d’ailleurs par le fait que ce sont les grammairiens de l’Académie française qui ont réformé et codifié la langue au XVIIe siècle de façon à imposer la masculinisation. La codification du français est intimement liée à la colonisation. En effet, ces règles du « bon usage » avaient pour but l’imposition de la langue aux territoires conquis, territoires qui incluaient manifestement aussi les femmes.
La féminisation évite donc d’utiliser systématiquement le masculin générique, comme s’il pouvait désigner l’ensemble des genres. On peut féminiser soit en nommant le féminin, soit en joignant les genres masculin et féminin.
Par exemple :
a) Les auteurs et les autrices sont réunies dans la salle.
Ou encore :
b) Les écrivain·es sont réuni·es dans la salle.
Notez que dans le premier exemple, l’accord du verbe est un accord de proximité. L’accord de proximité se fait sur celui des deux termes qui se trouve le plus près du verbe. Son utilisation permet d’uniformiser les règles d’accord tout en disant adieu au masculin qui l’emporte! L’accord de proximité se pratique également sur les adjectifs. On pourrait donc autant dire : « Les compositeurs et les compositrices sont excellentes » que « Les danseuses et les danseurs sont brillants ».
Si on retourne à l’exemple précédent, soit au point b), on utilise le point médian pour éviter le doublet. Cette forme est appelée le doublet abrégé. Bien que d’autres formes de doublets abrégés existent dans l’usage (parenthèses, virgules, majuscules, traits d’union ou points), certaines formes sont contestées ou posent problème. La formule utilisant la parenthèse, par exemple : écrivain(e), est contestée, tout simplement parce qu’on ne met pas les femmes entre parenthèses. La formule avec un point, par exemple écrivain.e, pose problème en rédaction web, car elle insère parfois un hyperlien par défaut dans le texte sur certaines plateformes comme Facebook.
Le point médian donne à lire le féminin en minimisant la ligature. Qui plus est, c’est sa fonction, aussi bien en faire usage! Cependant, il ne s’utilise pas sur les formes distinctes, par exemple : auteur·rices. Les deux mots doivent être lisibles dans leurs jonctions. Si ce n’est pas possible, préférez-lui le doublet complet ou, encore mieux, la forme neutre. Par ailleurs, ne séparez pas le pluriel, par exemple : écrivain·e·s. L’accord du pluriel se fait très bien sur la dernière lettre, soit écrivain·es.
Pluraliser
Si féminiser est un pas dans la bonne direction, cela ne permet toutefois pas de briser la binarité de genre. Le Latin, précurseur du français, comptait pourtant trois genres : féminin, masculin et neutre. Si le genre neutre ne s’est pas rendu au français, il en conserve tout de même quelques traces. On note : le pronom « ça » qui n’est pas genré en soi, mais qu’on accorde pourtant au masculin; des noms à double genre, comme « amour » qui s’accorde au masculin ou au féminin selon qu’il soit singulier ou pluriel; ou encore « mouton » qui est le neutre de « bélier » et de « brebis ».
L’absence de genre neutre n’équivaut pas à une neutralisation impossible. Il faut tout simplement faire preuve de créativité et apprendre à formuler autrement.
S’ils ne sont pas totalement agenrés, plusieurs termes dont la forme est indifférenciée existent en français. Chez les pronoms épicènes, il y a : on, vous, quiconque, chaque, personne, rien, même, autre, plusieurs. Du côté des appellations de personne épicène, une foule d’options s’offrent à vous : enfant, adepte, antagoniste, membre, spécialiste, parlementaire, guide, partenaire, commis, cadre, artiste, camarade, diplomate, responsable, collègue, etc. Il y a aussi les noms collectifs, tels que clientèle, concurrence, corps professoral, population estudiantine, gens, communauté, public, auditoire, lectorat, foule, main d’oeuvre et bien plus. Certains adjectifs sont, eux aussi, neutres : dynamique, intrépide, sédentaire, insolite, énergique, brave, espiègle, magnifique, splendide, efficace, louable, riche et autres.
Ainsi, une rédaction épicène privilégiera la formulation indifférenciée, dite neutralisation formelle.
Par exemple :
Plutôt que d’opter pour le doublet « Bonsoir Mesdames et Messieurs », on peut opter pour une reformulation neutre « Bonsoir tout le monde ».
D’autres formes de neutralisation existent. Notamment par variation morphologique homophone. Dans ces cas, un terme sera modifié de façon à ce qu’on voie un mot similaire, mais que la graphie suggère une neutralisation. C’est le cas de « latinx » au lieu de « latino » et « latina » en espagnol. En français, on tend à utiliser le -z, issu de la forme plurielle -ez, puisque la forme genrée de l’accord -é·es n’est apparue qu’à la fin du XVIIe siècle. On dirait alors « conciz » au lieu de « concis » et « concise », ou encore, « préparez » au lieu de « préparé·es » et « imbuz » au lieu de « imbu·es ».
On ne saurait trop recommander d’utiliser les pronoms qu’une personne trans ou non binaire a choisi·es pour se désigner, soit en évitant à tout prix de mégenrer une personne trans, soit en acceptant la forme du pronom qu’une personne trans ou non binaire utilise pour se désigner elle-même comme iél, yel, ul ou ille. Ces pronoms opèrent une neutralisation par mixité des genres qui fait preuve d’une immense créativité. On la retrouve ailleurs, dans des formulations comme : celleux, ceuzes, elleux, toustes ou tousses, nombreuxses.
Ces deux dernières formes ne sont pas entérinées de façon systématique, elles offrent toutefois une façon de se sortir de la binarité de genre en restant tout à fait lisibles et sans alourdir le texte.
Respecter
De nombreuses oppressions se sont ancrées dans le langage. Certaines nous apparaissent aujourd’hui comme clairement marginalisantes et leur emploi est largement décrié. Pensons au mot-qui-commence-par-n pour désigner les Afroaméricain·es ou « sourd·es » pour désigner les personnes malentendantes, notamment. D’autres expressions exigent la réflexion et la prise de conscience de ce que signifie objectivement un terme ou un autre. Pensons à « hystérie », dont la racine étymologique vient du grec hystera (ὑστέρα), qui signifie « utérus ». L’association entre l’organe reproducteur désigné comme féminin et la définition d’hystérie, soit un excès d’émotions incontrôlable, a une forte connotation sexiste. On préférera une formulation moins connotée péjorativement.
Éviter d’insulter les personnes marginalisées n’est pas une affaire de censure, c’est une affaire de respect.
La rédaction épicène implique de prendre conscience de ces expressions marginalisantes et de favoriser un lexique inclusif. Éviter d’insulter les personnes marginalisées n’est pas une affaire de censure, c’est une affaire de respect. Rappelez-vous qu’un mot ou une expression désigne un être ou une chose. Il ne s’agit pas de ne pas désigner du tout, comme le voudrait la censure, mais d’un choix de mot qui se veut courtois et considéré. On choisit librement l’insulte ou le respect, mais il ne faut pas s’étonner que les conséquences et effets soient bien différents.
Axer sa rédaction sur le respect est une façon de permettre l’ouverture à la discussion publique à toute personne qui voudrait y prendre part, en encourageant l’accessibilité et en promouvant la démocratie. C’est aussi l’objet de la rédaction épicène, qui valorise la diversité, l’inclusion, la représentativité et la bienveillance. De quoi donner à vos communications une plus grande amplitude, finalement!
17 février 2020